Chers Amis,
veuillez trouver ci-dessous en libres propos un article intéressant sur la chasse et la forêt de notre collègue Georges-André Morin
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La chasse et la forêt
La chasse est étroitement liée à l'histoire de la forêt. L'aménagement d'une forêt comme celle de Compiègne remonte au moins au IVe siècle quand elle faisait partie de ces territoires de chasse auxquels le jeune empereur Gratien consacrait trop de temps, ce qui aurait fini par lui coûter son trône.
Sous l’Ancien Régime les dispositions afférentes à la chasse constituent le titre XXX de l’
«Ordonnance du 13 août 1669 sur le faict des Eaux et Forêts ». L’article XXVIII de ce titre peut être cité intégralement :
« FAISONS défenses aux Marchands, Artisans, Bourgeois & Habitans des Villes, Bourgs, Parroisses, villages & hameaux, païsans & roturiers, de quelque estat & qualité qu'ils soient, non possedans Fiefs, Seigneurie & Haute Justice, de chasser en quelque lieu, sorte & manière, & sur quelque gibier de poil ou de plume que ce puisse estre, à peine de cent livres d'amende pour la premiere fois, du double pour la seconde, & pour la troisiéme d'estre attachez trois heures au carcan du lieu de leur residence à jour de marché, & bannis durant trois années du ressort de la Maistrise, sans que pour quelque cause que ce soit, les Juges puissent remettre ou moderer la peine, à peine d'interdiction ».
On peut également mentionner l’article III qui règlemente les armes à feu :
« Interdisons à toutes personnes, sans distinction de qualité, de temps, ni de lieu, l’usage des armes à feu… ».
Le recours au seigneur pour remédier à des dégâts de gibier est le contexte de la célèbre fable de La Fontaine
« Le Jardinier et son Seigneur ».
Dans ses commentaires , publiés à la fin du règne de Louis XV, Daniel Jousse note en se référant aux travaux de Le Bret (
« Traité de la souveraineté », livre 3 chapitre 4, publié en 1632) :
« La chasse est originairement permise à tout le monde par le Droit des Gens , néanmoins on ne peut douter que le souverain n’ait le droit d’en restreindre la liberté et l’usage quand elle est préjudiciable au public et à l’Etat. En France, des Seigneurs Hauts Justiciers se sont attribué le droit de chasse ».
Cette phrase résume bien le sujet. La chasse fait partie du «
Droit des Gens », c’est-à-dire à la base le droit pour l’agriculteur de se défendre contre les dégâts de gibier, droit souvent approprié abusivement par une partie de la noblesse. C’est un élément de la réaction nobiliaire que l’on constate sous le règne de Louis XVI, souvent plus le fait d’une noblesse de robe récente que d’une noblesse d’extraction. Ainsi, la marquise de la Ferté-Imbault, une des figures de ce mouvement, était la fille de Madame Geoffrin, protectrice des Encyclopédistes.
Le célèbre révolutionnaire Babeuf, dans sa carrière de feudiste avant la Révolution, relève :
« Ce fut dans la poussière des archives que je découvris les mystères des usurpations de la caste noble » .
En 1789, les questions du droit de chasse et du port d’armes sont donc très sensibles, aussi sont-elles récurrentes dans les cahiers de doléances. Il n’est pas surprenant que dans ce contexte les célèbres décrets de la Constituante du 4 août 1789, dits de l'abrogation des privilèges, traitent de ce sujet, en leur article 3 :
Article 3[
Le droit exclusif de la chasse ou des garennes ouvertes est pareillement aboli, et tout propriétaire a le droit de détruire ou faire détruire, seulement sur ses possessions, toute espèce de gibier, sauf à se conformer aux lois de police qui pourront être faites relativement à la sûreté publique. Toutes les capitaineries même royales, et toutes réserves de chasse, sous quelque dénomination que ce soit, sont pareillement abolies ; et il sera pourvu, par des moyens compatibles avec le respect dû aux propriétés et à la liberté, à la conservation des plaisirs personnels du Roi. M. le président est chargé de demander au Roi le rappel des galériens et des bannis pour simple fait de chasse, l'élargissement des prisonniers actuellement détenus, et l'abolition des procédures existantes à cet égard.
Cet article restaure donc le droit de propriété dans sa plénitude en y rétablissant le droit de chasse. La Révolution revient donc au Droit des Gens comme l’entendait Le Bret un siècle et demi auparavant. Le droit de propriété est ensuite confirmé par l'article 17 de la Déclarations des droits de l'homme et du citoyen du 26 août de la même année 1789, article qui a aujourd’hui valeur constitutionnelle, faut-il le rappeler ? Finalement tel journaliste végan, tel milliardaire allumé sur ce sujet, ne seraient que des avatars, au sens sanscrit du terme, de la réaction nobiliaire pré-révolutionnaire. Cet article rappelle également la dureté des « infractions pour simple fait de chasse ».
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La cohabitation des chasseurs et des promeneurs en forêt, ne doit pas occulter celle du gibier et de la forêt. Il convient de reconnaître que les décrets du 4 août 1789 furent suivis d'une véritable hécatombe du gibier qui a réglé pour longtemps ce problème.
Ce qu'en jargon moderne on appelle la recherche de l
'équilibre agro-sylvo-cynégétique est redevenu de nos jours un problème central de la gestion forestière.
Enfin, force est de constater que les accidents provoqués par le gibier sont bien plus nombreux que les accidents de chasse ; il y a énormément de collisions entre des véhicules et des animaux sauvages, même si les statistiques sont insuffisamment mises en avant, sinon occultées. Hélas, il n'est pas possible d'obtenir de statistiques sur le nombre d'accidents enregistrés mois par mois. La Fédération française des sociétés d'assurances ne dispose pas de chiffres, car elle ne tient pas compte de l'origine des accidents.
Le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages ( FGAO), qui prenait en charge leur indemnisation jusqu’en 2010, en comptait alors 65 000. Cela donnait une moyenne de 178 accidents par jour. Depuis le FGAO n’indemnise plus que les accidents ayant causé des dommages corporels. Le nombre de dossiers qu’il a pris en compte en 2011 était de quatre mille. La Sécurité routière compte quelques vingt personnes tuées chaque année à cause d’un accident avec un animal sauvage, mais ses statistiques sont de l’avis général sous-évaluées.
Les sangliers provoquent l’essentiel des 30 000 collisions automobiles avec un animal sauvage enregistrées chaque année en France. Un vrai problème pour le Fonds de garantie automobile, qui évalue ces « chocs » à 20 millions d’indemnisations annuelles. Il serait également intéressant de disposer de statistiques de la SNCF, mais les trains « tapés » par du gibier, cervidés ou sangliers font désormais partie du quotidien, avec à chaque fois un retard à gérer au moins d’un quart d’heure, retard touchant des dizaines, voire des centaines de personnes.
Ainsi, si au XIXe siècle la question des droits d’usage permettant la présence d’animaux domestiques en forêts a été un problème central de la politique forestière, au XXIe siècle la prolifération croissante des animaux sauvages devient un problème central de la gestion forestière, au moment même où se pose le problème de l’adaptation des forêts au changement climatique. Comment reconstituer des forêts si elles sont soumises à la dent du gibier ? Quel est d’ores et déjà le surcoût des engrillagements ? Les conditions de leur installation ? Leur efficacité réelle ? On ne peut à la fois reprocher aux chasseurs de chasser et en même temps de ne pas toujours appliquer des plans de chasse souvent trop timides.
La chasse est donc bien d’intérêt général, procédant du «
Droit naturel », ainsi que le reconnait l’article L. 420-1 du code de l’environnement . Le problème réside dans l’application effective de cet article dont la formulation actuelle est relativement récente, puisqu’elle remonte à la loi chasse du 26 juillet 2000 . En particulier les plans de chasse sont souvent insuffisants, et de plus incomplètement appliqués.
Avant de conclure cette ébauche de réflexion sur le droit de chasse, celle-ci peut être élargie à la question de la détention d’armes, car elle est lui est étroitement liée.
Les tueries qui alimentent régulièrement les faits divers américains posent la question. Les défenseurs du port d’arme mettent en avant le deuxième amendement de la Constitution américaine : « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé ». Cet amendement repose sur le fait que la création des Etats-Unis procède d’une révolte populaire contre le pouvoir colonial anglais. Le débat porte en fait sur la nature des armes en libre accès, d’où la déclaration du Président Biden : "
Je demande de nouveau au Congrès d'adopter une loi interdisant les fusils d'assaut et les chargeurs à grande capacité ».
La notion de peuple en arme ne convient pas à tous les gouvernements. Pendant l’Occupation, à la demande des allemands, le gouvernement de fait n’avait pas hésité à tenter une règlementation du port d’arme.
Le 25 octobre 2023,
Georges-André Morin
Ingénieur général honoraire des Ponts des Eaux et des forêts