jeudi 18 mars 2021

Rencontre avec Stéphane Viéban d'Alliance Forêts Bois


La coopérative Alliance Forêts Bois,
sa stratégie de croissance

24 février 2021




Introduction par Jean-Marie Ballu


Je suis heureux d’accueillir Stéphane Viéban pour cette conférence, pour laquelle nous avons enregistré 55 inscriptions, dont la moitié ne sont pas membres de notre association, prouvant notre audience de plus en plus large, comme nous l’avions déjà enregistré lors de la conférence Forêts et le changement climatique de Jean-François Dhôte le 10 décembre 2020.


Notre forêt souffre, nous devons y prêter attention et œuvrer pour garantir la constance de sa production. Elle est la cible de tempêtes suivies de chablis de plus en plus graves, d’attaques d’insectes comme dans l’Est de la France sur les Résineux, et globalement des effets du changement climatique qui traumatise les peuplements et nous fait réfléchir à une adaptation de notre forêt à ce nouveau contexte. Nous prônons depuis longtemps la nécessité de reprendre des reboisements adaptés.

À cet égard je voudrais souligner dans le Plan de relance gouvernemental de 150 millions d’euros pour la forêt, le lancement le 3 décembre dernier par notre ministre Julien Denormandie du Plan Relance Renouvellement Forestier, avec une première tranche de 95 millions d’euros. Ont déjà été sélectionnés de nombreux projets de coopératives forestières, de l’ONF, et de regroupements avec des pépinières.


La coopérative forestière Alliance Forêts Bois est aujourd’hui l’une des plus grandes coopératives forestières en France, avec 40 000 propriétaires forestiers adhérents, plus d’un million d’ha de forêts en gestion, 16 000 hectares reboisés et 3 millions de m3 de bois mobilisés chaque année.
Alliance Forêts Bois, dont l’origine remonte à  60 ans (sa création remonte aux incendies de la décennie 1940 — sous l'impulsion de Jean-Pierre Léonard, naissent les coopératives de Gironde en 1957, puis des Landes, de Dordogne, et du Lot et Garonne...), est la résultante de la fusion de 18 coopératives forestières au cours des quatre dernières décennies, et s’étend actuellement sur l’ensemble de la moitié ouest de notre territoire.

Pourquoi cette obligation de croissance, et quelle est la stratégie qui y préside ? Les coopératives étaient créées, à l’origine, au niveau des anciennes régions. Puis des regroupements se sont faits et nombre sont devenues interrégionales et ont beaucoup grossi... Elles ont parfois étendu leur champ d'action à la pépinière et à la transformation des bois. Quels avantages y ont trouvé les adhérents ? Quelle est la limite à ce regroupement et à la diversification pour l'efficacité ? Quelle est la taille optimale ?  Quelle organisation a été mise en œuvre pour que les "clients" se sentent dans un organisme proche de leurs préoccupations ?

Ce sont quelques-unes des questions qui ont été posées à Stéphane Vieban… 


Stéphane Viéban, ingénieur forestier, a commencé sa carrière comme Volontaire du Service National au Centre Technique Forestier Tropical au Congo. Puis il a travaillé au CRPF Auvergne pour le Cantal, avant de rejoindre le groupe papetier La Rochette comme directeur environnement et gestion forestière. Il est devenu ensuite directeur du développement à la Cellulose du Rhône et Aquitaine, puis pendant 12 ans directeur de la coopérative forestière FORESTARN, qui connaîtra une forte croissance interne avec une multiplication par 3,5 en 10 ans du chiffre d’affaires.

Enfin depuis 8 ans, il est directeur général d’Alliance Forêt Bois et président de plusieurs des filiales dont la grande pépinière FORELITE. 

Nous lui donnons la parole.


Intervention de Stéphane Viéban

 

Le principal intérêt du regroupement des coopératives est la mise en commun de leurs moyens, qui permet des économies d’échelle au bénéfice des propriétaires, de faire face aux évolutions de la gestion forestière qui s’est beaucoup « technicisée » ces dernières années, et de répondre en volume et en qualité aux industriels de nos régions, qui se sont eux aussi beaucoup regroupés. Ces regroupements de coopératives se sont d’ailleurs la plupart du temps faits à la demande des adhérents des coopératives.


 




Alliance Forêts Bois, comme les autres coopératives forestières, exerce plusieurs métiers pour répondre aux besoins des propriétaires forestiers :


  • Le conseil et l’accompagnement des propriétaires pour la gestion de leur forêt.             La coopérative gère 7 313 documents de gestion durable représentant, 386 303 ha de forêts. Elle en prépare 450 nouveaux chaque année. 

L’accompagnement des propriétaires utilise les nouveaux outils informatiques en mettant leurs données à leur portée en permanence, via le portail Adhérents du site de la coopérative.
La coopérative dispose d’une dizaine de pilotes de drones, qui peuvent surveiller et photographier les parcelles des adhérents, un service très utile en cas de tempête par exemple…

Plus récemment, la coopérative, constatant que beaucoup de ses adhérents n’étaient pas assurés parce qu’ils trouvaient les démarches trop compliquées, a adjoint un volet assurance à ses services. L’assurance d’Alliance Forêts Bois se veut simple, elle ne couvre que les coûts de reconstitution après un sinistre (tempête ou incendie), et elle ne coûte pas cher. Elle n’assure pas le patrimoine, pour lequel les propriétaires peuvent contracter une autre assurance. L’assurance d’Alliance Forêts Bois est adossée à l’assureur XLB (Xavier de la Bretesche) et au Crédit agricole.


  • La coopérative coordonne les travaux de sylviculture pour le compte de ses adhérents, soit 7 500 chantiers par an.
    Elle dispose d’une flotte de 40 tracteurs forestiers, d’ouvriers salariés, et même de ses propres vergers à graines et de pépinières (avec une offre de plus de 30 essences différentes).

L’autre principal métier de la coopérative est la récolte des bois de ses adhérents.  Elle livre 3,1 millions de m3 par an à ses clients (l’équivalent de 300 à 350 camions par jour), ce qui fait d’elle la première société de récolte de bois en France. 

Les 7700 chantiers d’exploitation qu’elle effectue chaque année sont de toutes tailles, du plus petit au plus gros, et s’accompagnent de nombreuses complications administratives que les dirigeants de la coopérative ont essayé de simplifier en créant un projet Foretdata.

Alliance Forêts Bois est fière de pouvoir afficher un taux de bois vendus certifiés à
85 % PEFC ou FSC, bien au-dessus de la moyenne française (un tiers des bois vendus en France sont écocertifiés, et très peu viennent de forêts privées). La certification FSC, encore peu présente en France, répond à la demande d’un de leurs clients, un papetier.



Les chiffres financiers clés 

En 2019, la Coopérative a généré un CA de 184 M euros, pour un résultat net de 700 000 euros. Le CA de la coopérative dépend principalement d’une part de l’importance de l‘activité d’exploitation dans l’année, et d’autre part du prix des bois.
La coopérative ne cherche pas à faire des bénéfices, mais elle a besoin d’un fonds de roulement pour financer les stocks de bois et pour continuer à investir.

C’est une des préoccupations des coopératives qui, en cas de sinistres comme les dernières tempêtes, se retrouvent avec de gros stocks de bois et doivent alors beaucoup s’endetter.


Le chiffre important est celui du CA consolidé du groupe. La coopérative a en effet quinze filiales, dont : 




La pépinière FORELITE produit 20 millions de plants forestiers (100 % godets) par an, pins maritimes, douglas, mélèzes… et peuplier depuis qu’elle a repris la pépinière de la Dive. FORELITE a également un contrat avec le GIS Peuplier pour essayer de produire des cultivars en France car actuellement ceux plantés par les populiculteurs sont soit hollandais, soit italiens, soit belges…


En 2018 Alliance a racheté une société d’exploitation /transport, l’objectif étant de réduire un peu la sous-traitance, de faciliter l’optimisation des différentes opérations, et d’être plus autonomes en ayant la capacité de développer eux-mêmes leurs technologies.

En 2019, la coopérative rachète la société productrice des fameux rouleaux landais, outils de préparation du sol avant la plantation. Là encore, un moyen de développer ses propres outils, de nouvelles générations de disques, des cover-crop motorisés, etc. 


Si je reviens à la question qui m’a été posée, poursuit Stephane Viéban, de la raison pour laquelle nous nous sommes autant développés, la réponse est qu’il faut une certaine taille pour être efficaces, pouvoir investir et renforcer notre R&D et ainsi assurer à nos adhérents une gestion durable et de qualité. Il faut aussi avoir une offre de bois suffisamment importante pour bien les vendre, il faut avoir suffisamment de personnel pour s’approprier la révolution numérique en forêt, pour pouvoir recruter de bons éléments, les former, les garder (la moitié des apprentis que la coopérative accueille sont embauchés), pour faire nos propres améliorations techniques, etc.


L’organisation en 14 agences et en 11 sections, très décentralisées et par régions, laisse une grande autonomie à chacun et permet de bénéficier des interactions et des synergies avec les autres, tout en étant très près des adhérents. La vie des assemblées de section est très riche.  


Preuve que ce regroupement était la bonne solution pour les adhérents, les membres des anciennes coopératives qui ont été absorbées s’en déclarent tous satisfaits.


En ce qui concerne l’actualité d’Alliance, la coopérative travaille en ce moment sur la recherche des essences d’avenir. Elle a été lauréate de l’AMI « Aider la forêt à s'adapter au changement climatique pour mieux l'atténuer ». Elle a créé un fonds de dotation : Plantons pour l’avenir, qui rencontre un énorme succès, ce qui a permis de lever 1,2 M euros en 2020, et 4,5 M euros en tout ! Enfin, la coopérative a des projets label bas carbone en cours.



Questions


Eric Sevrin : Est-ce que vous faites de la régénération naturelle ? 

Stéphane Viéban : Oui, selon le profil de la station, l’essence en place, et en réponse à la demande des propriétaires, qui est assez faible pour le moment. Nous y avons recours plus particulièrement pour les feuillus tel que le Chêne.


Eric Sevrin : Utilisez-vous des mini-pelles ?

Stéphane Viéban : Non, nous préférons les engins tractés, car la majorité de notre matériel provient de notre propre recherche et développement. Nous cherchons en permanence à améliorer la compétitivité de nos process.


Jean-Marie Ballu  : Jusqu’où pensez-vous aller dans votre expansion géographique ?

Stéphane Viéban : Elle se fait en fonction des opportunités… 


Question : Avez-vous des difficultés à gérer les petites propriétés ?

Stéphane Viéban : Les surfaces détenues par nos adhérents vont environ de 0,5 à 3 000 hectares. Nous jouons le rôle d’agent de regroupement. Mais ce qui est sûr, c’est que nous avons besoin des grosses propriétés pour pouvoir nous occuper des petites. 


Question : Que faites-vous par rapport aux critiques actuelles du grand public et des ONG sur la gestion des forêts ?

Stéphane Viéban : Nous sommes très présents sur Linkedin et Facebook ; nous communiquons dans les organisations professionnelles, et d’une manière générale, nos salariés sont très présents dans la vie des territoires.


Chritian Ginesty : L’image d’Alliance Forêt Bois est associée aux travaux lourds en forêt, impactant les sols…

Stéphane Viéban : Je suis très clair, je pense qu’il faut un travail du sol pour avoir une bonne reprise des plants. De plus, nous n’utilisons que des plants en godets, qui demandent un travail du sol plus profond qu’avec des plants en racines nues. Mais nos équipes de recherche interne travaillent sur les problèmes de tassement des sols.

 

Jean-Marie Ballu : Quelles sont vos relations avec les CRPF, les experts, etc… ?

Stéphane Viéban : Les relations sont bonnes, même si nous sommes parfois en concurrence… 


Question : Quelle est la différence entre une grosse entreprise commerciale et vous ?

Stéphane Viéban : Une différence essentielle, c’est que nous, nous sommes au service de nos adhérents. Nous sommes gérés par un Conseil d’Administration composé de propriétaires forestiers élus.


Question : Exportez-vous des grumes vers la Chine ?

Stéphane Viéban : Nous ne nous l’interdisons pas, mais nous cherchons toujours à privilégier la vente au plus près dans nos régions. Sur le volume global que nous commercialisons, seulement 25 000 m3 (soit 1 % du total) sont exportés, parce qu’ils ne sont pas valorisables en France. 


Eric Sevrin : Que pensez-vous du mélange d’essences en plantation ?

Stéphane Viéban : Nous n’avons pas de dogme à ce sujet, nous nous adaptons aux spécificités de chaque station, pour garantir la réussite et la pérennité du boisement dans le temps. Nous n’avons pas voulu que l’on nous impose quoi que ce soit, mais nous sommes en train d’évoluer de notre côté, au travers de programmes de recherche.